Temps de lecture : 6 minutes

Les villes à travers le monde comptent chaque année de plus en plus d’habitants, incitant les politiques locales à repenser les services urbains pour améliorer la qualité de vie. La ville intelligente se devra donc d’être habitants centrée. Et qui est mieux placé que les habitants eux-mêmes pour la construire ?   

Interroger les habitants sur leurs attentes

Si le Big data permet d’analyser les situations et identifier les problèmes rencontrés par la ville, les solutions proposées émanent bien souvent d’élus locaux et d’entreprises partenaires, sans consultation avec les habitants avant leur mise en œuvre. Ces solutions ont beau être pertinentes, elles risquent d’être rejetées par les usagers si elles ne cadrent pas avec leur conception du monde, leurs priorités à court terme ou leur niveau de sensibilité à l’innovation. Singapour, ville intelligente par excellence selon le classement smart city Juniper Research 2016, l’a bien compris. Son projet Smart Nation a pour objet de répondre aux problématiques urbaines grâce au numérique, dans une optique centrée utilisateurs. Une enquête y a notamment été menée afin de connaître les attentes en matière de domotique. Elle a révélé que les Singapouriens étaient plus sensibles à l’adaptation de l’habitat aux personnes âgées qu’à la gestion de leur consommation d’énergie. Le développement d’une application permettant des économies d’énergie, proposition pouvant paraître appropriée de prime abord, aurait pu se solder par un échec sans cette consultation préalable, faute d’habitants prêts à payer pour ce service. Cette enquête a donc permis aux entreprises collaborant au projet Smart Nation de mieux cibler leurs propositions. Ainsi est née, entre autres, l’application Myresponder qui met en relation les personnes victimes d’un malaise avec des habitants formés au secourisme et capables de prodiguer les premiers soins.
Descendre dans la rue plutôt qu’innover à l’ombre d’écrans sur lesquels défilent quantité d’analyses de données s’avère encore une fois primordial. Interroger les personnes directement concernées par les problématiques urbaines, identifier leurs difficultés et leurs aspirations permet d’imaginer des solutions innovantes qui sauront rencontrer leur public. L’humain est bien au cœur de la ville de demain, aujourd’hui encore plus qu’hier.

Place à la participation citoyenne

A une époque où les incertitudes quant aux modèles économique et sociétal s’accroissent, les citoyens veulent faire entendre leur voix. Des sites comme Avaaz ou Change.org deviennent leur porte-parole. A l’origine « simples » espaces de pétitions en ligne, ils sont devenus de véritables plateformes de démocratie citoyenne. Change.org a ainsi lancé une vaste consultation citoyenne, Changez 2017, afin de connaître les attentes des citoyens quant à leur futur Président de la République. L’objectif annoncé, former un lobby de citoyens pour influer sur les engagements des candidats. Avaaz de son côté a lancé une vaste campagne de consultation internationale, le Sommet citoyen mondial, pour interroger les citoyens sur les orientations que doit prendre Avaaz afin de peser sur le devenir du monde.
Au niveau local, la tendance de fond est relayée dans de nombreuses villes. Les politiques proposent leurs propres outils d’échange avec les habitants, allant du simple signalement d’un dysfonctionnement dans les services publics à la possibilité d’interpeller les élus sur des questions de fond. Nantes propose ainsi l’application Nantes dans ma poche qui permet de s’informer en temps quasi réel sur les services de la ville et de communiquer avec les élus. Une start-up a également fait le pari de co-construire la participation citoyenne en développant une application de dialogue à destination des mairies et de leurs habitants : l’application mobile Fluicity permet aux élus d’informer les habitants sur l’actualité de la ville. Ceux-ci peuvent en retour donner leur avis sur les propositions de la collectivité. La Mairie de Vernon dans l’Eure et la Mairie du 9ème arrondissement de Paris l’ont déjà adoptée.
Du côté de la capitale, Paris s’est proclamée ville ouverte, avec pour ambition de co-construire les territoires en partenariat avec les entreprises et les usagers. Dans l’édito du site Madame la Maire j’ai une idée, Anne Hidalgo affirme que l’intelligence collective permettra de bâtir « une ville juste, progressiste et durable » avec la participation citoyenne comme « l’un des piliers de l’élaboration de nos politiques publiques. » Sur ce site, les Parisiens sont invités à proposer leurs idées et leurs projets sur différentes thématiques urbaines. Des groupes de réflexion en ligne entre usagers, experts et agents du service public peuvent intervenir dans le cadre d’ateliers de co-construction de la ville. Plus largement, la ville a mis en place le budget participatif : 5% du budget d’investissement de la ville, soit ½ milliard d’euros, est consacré au financement de projets d’intérêt général émanant des Parisiens eux-mêmes. Plus de 5 000 propositions auraient déjà été collectées par les services de la ville. Propositions qui seront peut-être mises en œuvre par des entreprises structurées autour de l’Urban Lab de Paris & Co, cellule qui coordonne les projets d’expérimentation lancés par la ville de Paris, in vivo et in situ sur le territoire.
Cette culture de la participation citoyenne n’en est qu’à ses débuts et doit être encouragée afin de faire partie intégrante de la vie des habitants. Avec le développement de nombreux leviers digitaux comme les réseaux sociaux ou les applications, elle modifie en profondeur le rapport entre élus et citoyens, demandant aux premiers une plus grande transparence, aux seconds une implication dans la vie de leur ville, et à tous une volonté de se former à ces nouveaux usages. Mais pour que la co-construction soit perçue comme efficiente, les différentes concertations doivent être suivies d’effets concrets en donnant vie à des projets qui répondent vraiment aux besoins et aux attentes des usagers. C’est donc toute une nouvelle culture de la ville qu’il faut construire, une culture à partager entre les citoyens, les élus et les entreprises, pour la faire grandir ensemble.

L’implication citoyenne pour reconstruire la ville, l’exemple de Détroit

Détroit a bâti sa renommée sur l’industrie automobile au siècle dernier. Déclarée en faillite en 2013 au terme d’un long processus de désindustrialisation entamé dans les années 60, la Motown (Motor Town) avait perdu près d’un million d’habitants en 50 ans, soit plus de la moitié de sa population. Petit à petit, elle s’était transformée en une ville fantôme où les bâtiments délabrés côtoyaient les zones en friche. Depuis 2014, le maire Mike Duggan a chargé la banque foncière de la ville de racheter ou saisir les parcelles immobilières laissées à l’abandon afin de les revendre à des investisseurs privés, parfois pour un dollar symbolique, s’ils s’engagent à les réhabiliter dans une optique de développement urbain. L’objectif, relancer la dynamique de la ville en facilitant la réappropriation des espaces par les habitants, les associations, les artistes et les entreprises. De nombreux projets novateurs voient le jour, trouvant ici un espace d’expérimentation inédit qui invente la société de demain, dans une approche locale et responsable.
On voit ainsi pousser des potagers, des vergers, des parcs et même des forêts en plein centre ville. Associations et habitants regroupés en coopératives reverdissent la ville et tentent de répondre à la problématique des déserts alimentaires que rencontrent les centres urbains américains, tout en recréant du lien social. L’association Greening of Detroit transforme depuis des décennies des zones en friche en espaces verts, cultive un jardin urbain et forme de nombreux habitants soucieux de créer leur propre jardin. Dans la même veine, Keep Detroit Growing cultive l’art de l’agriculture urbaine et essaime en formant les membres d’association de quartier au jardinage et en leur offrant des semences et pousses afin de démarrer leurs propres jardins.
L’ancienne ville industrielle regorge également d’usines et entrepôts désaffectés dont les surfaces généreuses séduisent les artistes venus des quatre coins des États-Unis et même de plus loin. Alléchés par ces grands espaces à bas prix, ils les investissent pour en faire de vastes ateliers où la culture donne naissance à de nombreux projets créatifs. Outre les peintres, sculpteurs ou photographes, les écrivains et poètes sont également à l’honneur : le projet Write-a-House leur propose de se consacrer entièrement à leur art en leur prêtant gratuitement une maison où ils pourront écrire à loisir. Un projet qui tend à créer une communauté d’écrivains pour faire émerger les talents et partager la culture au travers d’ateliers de lecture et d’écriture. Une dynamique de quartier s’installe dès la rénovation des maisons qui seront confiées aux écrivains : des jeunes sont employés à ces réhabilitations, apprenant au passage un futur métier.
Côté économie, la campagne Made in Detroit visant à attirer de nouveaux entrepreneurs a porté ses fruits. Les incubateurs de la ville comme Ponyride par exemple, abritent de nombreux projets originaux, aussi bien technologiques qu’artisanaux. Detroit est aujourd’hui classée 5ème ville la plus innovante des États-Unis selon le classement CNN Money. De nombreuses start-ups s’y sont installées, attirées par la dynamique que les habitants et élus ont su imprimer à la ville, mélange d’inventivité et d’esprit d’initiative. Si la technologie est bien présente, avec pour ambition affichée de faire de Detroit la deuxième Silicon Valley, les makers ne sont pas en reste. Fabrication de montres de précision, de vélos, d’accessoires en cuir, de meubles design et même de baume à barbe, le Made in Detroit a démontré son savoir-faire et assure à la ville une production locale. En quelques années, Detroit est devenue un laboratoire grandeur nature où la société se réinvente dans toutes ses dimensions, économique, sociale et environnementale, sous l’impulsion de ses habitants.