Cet article est le premier du dossier sur le futur du travail que nous alimenterons au fil des mois.
Depuis des années, les médias se font l’écho régulièrement, de la crise de l’emploi, du malaise des individus en entreprise et des changements profonds que connaissent les entreprises. Cette réalité peu enthousiasmante nous accompagne désormais au quotidien. Nous vivons tous avec cette épée de Damoclès qu’est le chômage. Lorsque des jeunes mettent en moyenne 7 ans pour trouver un emploi stable et des seniors sortent prématurément de l’entreprise, l’impact sur nos vies n’est plus seulement d’ordre économique mais aussi social et sociétal. Les remises en cause progressives du travail et de l’emploi conduisent à celles de l’organisation du travail au sein de l’entreprise.
La révolution numérique, et notamment l’économie collaborative, accélère aussi tout ce processus en changeant la nature même des métiers et de la façon dont nous allons devoir les exercer. Que cela signifie-t-il concrètement sur le plan managériale et entrepreneuriale ? Devant l’accélération des innovations techniques, le développement considérable des échanges commerciaux et de la concurrence, les entreprises restent organisées et gérées selon des principes qui datent d’un siècle. Cependant, les lignes bougent de plus en plus avec l’apparition de structures juridiques comme les GIE ou les coopératives ou encore la montée en puissance programmée des travailleurs indépendants.
Pourtant, nous vivons un drôle de paradoxe : en effet, jamais l’entreprise traditionnelle n’a connu autant de normes et de réglementations qui régentent la vie du salarié. Dans ce contexte si particulier, le rôle du management n’est pas en reste. Souvent décrié, le manager est un individu qui n’a jamais été en règle générale formé à gérer des êtres humains dans un environnement particulier. En France, nous avons tout particulièrement construit notre modèle économique autour de la très grande entreprise, consolidé au fil des années par celle de nos figures de proue, nos fameux « grands capitaines d’industrie », symbole du paternalisme à la française. Elles connurent leur heure de gloire durant les 30 Glorieuses, une période synonyme de plein emploi dans notre imaginaire collectif.
Aujourd’hui, cette image est totalement désuète car elle ne correspond plus au quotidien des salariés d’une part et des entreprises d’autre part. Dans un environnement changeant et mondialisé, un capitaine d’industrie et ses avatars sont l’incarnation d’un management old school et inefficace. Les règles qui régissaient jusqu’alors les organisations de travail traditionnelles se font déborder par des pratiques de travail qui s’en affranchissent. Elles sont essentiellement de deux ordres :
- Des formes de dialogues atypiques ont émergé, notamment en France.
- Des collectifs réinventent des process, des codes et un nouveau modèle d’entreprise, voire de travail en commun.
Ces initiatives sont motivées par divers facteurs, ils répondent en effet à des aspirations individuelles, collectives et pragmatiques. Ils peuvent concerner une équipe, une direction ou une organisation. Généralement, ces nouvelles formes de travail sont impulsées par un groupe d’individus autonomes ou prennent la forme d’une nouvelle politique managériale de l’entreprise. Nous allons nous intéresser particulièrement à ce dernier point
Des entreprises dîtes libérées…
Nous observons depuis quelques années une transformation du rôle du manager au sein de l’entreprise. Il est aujourd’hui de plus en plus sollicité en mode projet et beaucoup moins en tant que dirigeant pur d’équipe. On attend de lui aujourd’hui qu’il interagisse avec ses équipes au quotidien, tout en donnant le cadre et les retours nécessaires aux projets en cours. Certaines entreprises n’hésitent plus à mettre à plat littéralement leur organisation et de s’affranchir totalement de la hiérarchie et des modèles traditionnels de management considérés comme trop vertical, autoritaire et paternaliste pour aller à un management plus souple et surtout plus participatif. Concrètement, ça se manifeste par une disparition programmée de la hiérarchie, une responsabilisation et une autonomie accrues des salariés, un système de contrôle allégé car tout repose sur la confiance mutuelle et l’ouverture d’esprit.
Ce mouvement porte plusieurs noms : holacratie, entreprise plate, management par la confiance ou encore entreprise libérée.
En France, peu d’entreprises ont pour l’instant entrepris une telle révolution. Par exemple, ces initiatives sont portées par des entreprises comme l’équipementier automobile Favi ou la biscuiterie Poult. Ce sont surtout les jeunes pousses et autres start-up issus de l’économie numérique qui ont intégré ce mode de fonctionnement, portées qu’elles sont par les valeurs du digital : agile, collaborative, transparence de l’information et des prises de décision.
Ce mode opératoire est aussi un moyen pour une jeune entreprise qui grossit rapidement de ne pas perdre sa force principale qui est de créer et innover. L’un des exemples les plus emblématiques d’application de l’holacratie a été proposé par la société américaine Zappos, rachetée au prix fort par Amazon depuis. Si vous êtes en effet fan de chaussures, vous avez sûrement visité au moins une fois cette boutique en ligne. Son fondateur Tony Hsieh a mis en place ce système lorsqu’il a constaté qu’en ajoutant des maillons dans la hiérarchie de décisions, Zappos perdait en force d’innovation. Tony Hsief a donc décidé de réorganiser son entreprise en holacratie : les 1500 salariés de la firme définissent désormais leur stratégie. Comment cela fonctionne-t-il concrètement ? Les employés s’organisent en cercles et non plus en équipes. Les managers ? Ils existent encore mais n’en ont plus le titre et ils sont clairement identifiés en interne par un rôle et des tâches bien précises définis… lors des cercles. Les décisions stratégiques traditionnelles d’une entreprise existent donc encore mais sont gérées d’une toute autre manière. En un sens, on peut dire que les cercles forment une nouvelle hiérarchie au sein d’une entreprise holacratique, mais une hiérarchie mouvante qui s’interpelle et se renouvelle constamment. En résumé, l’holacratie remplace la structure hiérarchique traditionnelle par un processus structuré.
En holacratie, l’une des valeurs fondamentales est la transparence. Chez Zappos, tous les rôles et responsabilités, toutes les politiques de la société sont enregistrés et consultables par tout le monde à partir de leur plateforme interne.
L’expérience client avant toute chose
L’objectif de Zappos n’est pas de faire absolument des ventes, mais de fidéliser suffisamment la personne, pour que celle-ci devienne un client. Chez Zappos, tout tourne autour du centre d’appels ou comme ils le disent eux-mêmes de « l’équipe dédiée à la fidélité des clients ». Ces salariés ne sont pas pressés par le temps ou des objectifs de vente. Non le dialogue est ici au cœur de la stratégie de l’entreprise. Cette équipe recueille le besoin, discute avec le client… Lorsqu’une vente est réalisée, les salariés agrémentent les colis de cadeaux : gâteaux, cartes, fleurs… Et à aucun moment, ils n’ont besoin de demander la permission. Et les chefs, où sont-ils ? Nulle part ou plutôt noyés dans l’open-space, l’idée développée est que tout le monde peut faire le travail de tout le monde. Une fois par an, tout le monde doit passer au moins une fois par an par le centre d’appel, même Tony Hsief, l’humilité étant la valeur la plus partagée au sein de l’entreprise.
Financièrement, comment l’entreprise s’en sort ? La santé économique de Zapp
os est réellement au beau fixe avec ses quelques millions d’euros de chiffre d’affaires enregistrés quotidiennement.
Le design thinking en management de projet
Comment peut s’inscrire le design thinking dans ces nouveaux modes de management ? Le plus naturellement possible car le design thinking est une approche managériale de l’innovation. Depuis les travaux de Tim Brown, elle place l’humain au centre de l’approche des résolutions de problème. C’est avant tout une approche cohérente qui peut se résumer sur trois dimensions : la viabilité, la faisabilité et la désirabilité (voir schéma ci-dessous).
Le design thinking s’impose peu à peu depuis quelques années comme une méthodologie pour la gestion des projets d’innovation et l’accompagnement à la transformation digitale. Au delà de la méthode c’est aussi un process de travail ensemble où la coopération et l’empathie sont des facteurs clés. On constate que ce process s’applique à l’entrepreneuriat (Lean Design, Lean Start up). De par son approche multidisciplinaire, il invite à repenser en interne les pratiques organisationnelles, notamment en diversifiant les équipes, socialement, culturellement et techniquement et en adoptant une transversalité qui s’exprimera à toutes les étapes du projet. Il est alors important de considérer qu’une telle méthodologie ne peut être efficace que si elle emporte l’adhésion en interne. Cette implication peut se faire à différentes phases du projet d’innovation, elle nourrira et enrichira le projet grâce à la veille, au partage de l’information et aux échanges en interne.
Ainsi en favorisant la collaboration des métiers dans un même espace-temps, le design thinking facilite la réussite d’un projet et renouvelle en permanence les méthodes de développement des nouveaux produits ou de nouveaux services.
A votre tour ?
Dans les TPE/PME, il est sans doute plus facile de fonctionner en mode agile et ouvert, sur l’autonomie des salariés et la confiance, le travail de chacun étant en effet plus visible et partageable. A plus large échelle, la question se pose quant à la légitimité de l’holacratie, même si l’exemple de Zappos montre que c’est possible. Si vous avez cependant des doutes, le design thinking peut vous aider à instaurer un management plus ouvert et plus participatif, comme le démontre les projets sur lesquels nous avons eu l’opportunité d’intervenir.