[Interview] Frédéric Rosset, créateur de la série Irresponsable

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Issu de la première promotion du département Séries de la Fémis, Frédéric Rosset est le créateur d’Irresponsable dont la première saison a été diffusée sur OCS en juin dernier. Celle-ci débute alors que Julien, 31 ans, retourne vivre chez sa mère dans sa ville natale. Très vite, il tombe sur son ancienne petite amie, Marie, qui lui annonce qu’il est le père d’un adolescent de quinze ans…

Même si on peut raisonnablement qualifier Irresponsable de série comique, celle-ci aborde en fond des sujets de société loin d’être légers : chômage, absence du père, difficulté à s’intégrer… Est-ce que tous ces thèmes sont venus petit à petit se greffer à l’histoire ? Ou est-ce qu’il y avait dès le départ une volonté de parler de tous ces sujets ?

Tout a commencé avec l’envie de faire une « bromance » entre un père et un fils qui se découvrent et qui ont le même âge mental. J’ai de suite accroché à cette idée parce qu’elle me faisait rire, et qu’elle permettait de mettre en exergue l’attachement que j’ai encore pour mon adolescence alors que je l’ai quitté depuis un paquet d’années. Mais dès que j’ai un peu creusé, et surtout réfléchi à qui étaient ces personnages, je me suis rendu compte qu’ils ne pouvaient être que brisés. Le personnage principal se devait de mener une vie très précaire, la mère du gamin était obligatoirement un miroir inversé, ayant dû devenir adulte une fois enceinte à 15 ans, le gamin savait forcément qu’il n’avait pas été un enfant désiré… Petit à petit, ces sujets a priori difficiles s’imposaient. Mais je n’ai jamais eu l’impression que cela entrait en contradiction avec mon désir premier de faire une comédie. Au contraire, ça n’a fait que renforcer ma conviction que je tenais là une idée forte.

On sent par moment que la série aurait pu basculer dans quelque chose de plus burlesque mais les personnages sont finalement rattrapés par la réalité des choses, et la série change un peu de cap, apparaît plus touchante, alternant légèreté et gravité. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ? Est-ce que Irresponsable aurait pu être plus insouciante dans ses ressorts comiques ? Ou est-ce que, au contraire, il y avait l’envie de se détacher de la comédie pure ?

En tout début de développement, j’ai envisagé que la série puisse avoir une structure à la Malcolm. C’est à dire que chaque fin d’épisode revienne au point de départ, nous permettant de les regarder dans n’importe quel ordre. En gros, une fois le double épisode pilote passé, tous les autres utiliseraient ce schéma : Julien veut prouver qu’il peut être responsable en se mêlant d’un problème de son fils, mais sa nature reprend le dessus et il ne fait qu’empirer les choses. J’avais écrit les pitchs de deux épisodes (qui ont donné les épisodes 3 et 4) pour illustrer ce principe. Mais très vite, j’ai compris que le processus deviendrait lassant et, de toutes façons, j’avais trop envie de voir les actes de Julien avoir des conséquences réelles. Je voulais que les relations entre les personnages soient en perpétuelle évolution, et la série est donc rapidement devenue bien plus feuilletonnante. Et ça, ça signifie la fin de l’insouciance, assumer la part tragique du parcours des personnages. C’est un système classique et ultra efficace de bons nombres de séries anglo-saxonnes : rendre immédiatement attachants des personnages drôles, pour mieux nous surprendre et nous toucher quand ces derniers finissent rattrapés par leurs démons. Ça n’a pas été immédiatement facile d’oser aborder de front ces moments drama dans Irresponsable. D’ailleurs, quand on a écrit le premier épisode qui allait soudainement dans cette direction dans son dernier tiers, on en avait tellement peur qu’on a exagérément monté les curseurs comiques pour compenser. Ça a donné l’épisode 5 qui est in fine pour moi le moins bon, car mal dosé. Ça marche beaucoup mieux dans les suivants, où on y fonce sans se poser de questions. 
 

Irresponsable a été en partie tournée à Chaville, qui est aussi ta ville natale. Et comme le héros, c’était une manière pour toi d’y revenir. Mais est-ce qu’il y a aussi derrière ça une envie de faire le portrait d’une banlieue qu’on ne voit pas forcément beaucoup à l’écran ? Est-ce que la question s’est posée de ne jamais citer le nom de la ville ? C’était important que la série s’inscrive dans notre monde (j’entends par là dans un lieu identifié) ?

Je ne vais pas mentir, j’ai fait ce choix surtout pour me faire plaisir, et parce qu’au moins je savais de quoi je parlais. Et puis c’est dans cette ville que j’ai réalisé mes premiers courts métrages à l’adolescence, je savais donc qu’elle était cinégénique. Le fait qu’en plus de cela, ce n’est pas une banlieue souvent montrée dans nos fictions n’était que la cerise sur le gâteau, pas la motivation première. Quant à éviter de citer le nom « Chaville », non, on ne s’est pas posé la question. Situer précisément l’arène de la série ne change rien à l’universalité du propos. J’aime bien les différentes réactions des gens sur ce point. Il y en a qui connaissent très bien la ville, et qui sont contents de la voir filmée, et d’autres qui n’en avaient jamais entendu parlé, et pensent même parfois que c’est un nom inventé car il sonne rigolo. Dans tous les cas, je nous trouve gagnant. 

You’re the Worst, BoJack Horseman, Louie, TransparentFleabag, Atlanta… les séries comiques d’aujourd’hui cachent presque toutes quelque chose de dépressif. Le rire a parfois disparu et quand il est présent, c’est moins pour le comique de situation que comme contrepoids à quelque chose de tragique. Comment est-ce que tu analyses/ressens/expliques cette orientation prise par les séries comiques ?

Quand j’écrivais Irresponsable, j’étais fasciné par la tournure dramatique que prenaient la saison 3 de Girls et la saison 4 de Louie. Ca m’a encouragé à aller dans cette voie. Et en effet, depuis c’est la déferlante de séries comiques dépressives, au point même où on peut parfois s’interroger sur la nature de leur genre, comme quand Transparent est classé en « comédie » par les Emmy. J’ignore pourquoi cela arrive maintenant, mais j’en suis ravi. Le mélange des genres, quand il est bien fait, est toujours bénéfique à une série. Il suffit de regarder du côté des plus grandes séries dramatiques. Six Feet Under, Twin Peaks, Les Sopranos, The Wire, Breaking Bad, Mad Men… Toutes ont régulièrement parsemé des moments comiques d’anthologie dans leurs épisodes, qui ont contribué à leur réputation et à la richesse des sentiments provoqués. Il me paraît normal et même nécessaire que les comédies se mettent à faire de même. 

Est-ce que tu penses que les séries comiques ressentent aussi le besoin de se tourner vers le drame pour obtenir une plus grande reconnaissance ? Ou est-ce que le monde dans lequel on vit aujourd’hui a un tel impact sur nos vies qu’il semble difficile d’en faire abstraction ?

J’y ai un peu répondu avec la question précédente mais non, je ne pense pas qu’une comédie se tourne vers le drame par besoin de reconnaissance, dans le sens où cela n’a rien de forcé. C’est naturel, logique. Peut-être parce que le rire est souvent le meilleur moyen de parler de choses graves. J’ai un exemple un peu idiot, mais il suffit de regarder du côté de certains grands comiques, comme Louis de Funès ou Robin Williams. Ils ont beau être de parfaits représentants de « l’humour pur », ne mélangeant jamais ou très rarement les deux genres, ils ont aussi tous deux la réputation d’avoir été de sérieux dépressifs. Quoi que l’on fasse, la comédie et la dépression ont toujours fait bon ménage, et c’est tant mieux.