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Depuis quelques mois, le secteur bancaire et financier a entamé sa révolution copernicienne, en réfléchissant sérieusement aux bénéfices qu’il pourrait bénéficier de certaines technologies qui sous-tendent la crypto-monnaie Bitcoin. Or, au fil des expériences que mène ce secteur, il apparaît qu’il développe ses propres versions et n’aurait aucune volonté d’intégrer la monnaie virtuelle et son économie. Est-ce la récupération de trop qui annonce la fin de la blockchain ?

La blockchain n’en a rien disrupté les banques

Suite à la crise financière, une personne, utilisant le pseudonyme Satoshi Nakamoto, lança une nouvelle monnaie virtuelle, le Bitcoin. Le but avoué était de proposer une alternative sérieuse aux banques centrales et commerciales. Six ans plus tard, certaines grandes institutions bancaires comme JP Morgan et Citigroup ont fait leur, les idées de Nakomoto, mais en se débarrassant des modalités de la monnaie qui réduisaient leur influence.
D’autres banques tentent plutôt de s’appuyer sur le code open-source de Nakamoto pour construire des modèles qui aideront le système financier à être plus efficient. L’idée générale est de développer des plateformes logicielles qui s’appuient sur la technologie blockchain, sans se préoccuper de la monnaie en elle-même et de la manière dont ce registre ouvert fonctionne.
C’est tout le projet que le consortium new-yorkais R3 a rendu public en début d’année, en annonçant un partenariat avec neuf banques (ndlr : elles sont aujourd’hui beaucoup plus nombreuses) pour développer leur propre logiciel de blockchain afin de sécuriser et fluidifier les transactions d’actifs entre les institutions. Un actif possédé, enregistré sur la blockchain reconnue par les banques, serait validé et transféré beaucoup plus rapidement de ce qu’il ne l’est aujourd’hui.
Cette technologie attise tellement les appétits que le consortium vacille sur ses bases, puisque trois instituts financiers ont décidé de quitter le R3. La raison invoquée est le retard pris dans l’élaboration de la solution. Plus concrètement, il s’avère que la collaboration entre grands acteurs du secteur n’est pas naturelle et beaucoup commencent à tirer la couverture vers eux en invoquant efficacité et manque de ROI. Mais, la raison principale est qu’ils ne veulent pas financer une technologie qui ne leur servira peu ou pas et bénéficiera à leurs concurrents directs. Nous nous dirigeons donc vers une multitude de blockchains privées.

Quid de la transparence de la blockchain ?

En théorie, un tel système devrait se construire grâce à Bitcoin. Mais certains de ses aspects techniques ne plaisent pas au milieu financier, comme la transparence des transactions. « Certains clients ne tiennent pas à rendre public leurs transactions financières. » affirment le PDG de R3, Gendal Brown.  Au lieu de ça, les banques préfèrent développer une blockchain semi-privée, sur leurs propres serveurs et accessibles uniquement à ceux en qui ils font confiance.
Un rapport de la banque espagnoles Santander a évalué que le secteur économiserait 20 milliards dans ses coûts d’infrastructure grâce à la blockchain, d’ici 2022. Une telle technologie remplacerait des systèmes informatiques onéreux, peu mis à jour mais fluidifieraient avant toute chose des transactions qui mettent des jours à être complètement validées, aujourd’hui.
Et les exemples, dans ce sens, se multiplient aujourd’hui. Ainsi, la startup californienne, Chain, a levé 30 millions de dollars de la part d’investisseurs comme Visa, Nasdaq et Citigroup pour développer le même type de projet et plus spécifiquement, pour enregistrer les transactions d’actions de société. Chain espère sortir un prototype à la fin de cette année.

Des limites techniques qui affranchissent le secteur financier de l’esprit originel

Dans les milieux autorisés, le Bitcoin, en tant que monnaie virtuelle,n’intéresse pas grand monde, même si elle a été conçue pour supporter tout type de transaction sur Internet. Les compagnies financières sont plutôt intéressées par transférer leurs propres actifs, en vase-clos. De fait, la blockchain actuelle est limitée techniquement, notamment elle ne traite que sept transactions par seconde et une transaction met, en moyenne, dix minutes pour être ajoutée au registre.
De fait, développer des blockchains privées, plus rapides et plus fiables, est la voie qu’ont choisie les compagnies bancaires. Une autre raison invoquée par ces nouveaux acteurs est la sécurité. La blockchain actuelle repose sur un réseau d’ordinateurs connectés qui empêche toute forme de fraude. Mais, n’importe qui peut aujourd’hui rejoindre les « mineurs » (ceux et celles qui valident les transactions). Cet aspect révèle aussi une faiblesse : une organisation avec un puissant réseau d’ordinateurs dominerait les autres mineurs et altéreraient la fiabilité et la sécurité de la blockchain.
Cette appropriation du secteur financier de certains aspects technologiques de la monnaie virtuelle place les principaux acteurs devant un défi majeur, qui sera au cœur de la réussite ou pas de cette technologie. S’ils s’accordent à trouver qu’il faut absolument améliorer les capacités actuelles du registre, aucun ne prend aujourd’hui le risque d’entamer cette démarche.

Est-ce déjà la fin de la blockchain ?

Certains pensent que le Bitcoin surmontera ces défis et mettra de côté l’idée de privatiser les blockchains. Elles offrent aujourd’hui la possibilité aux banques de jouer avec. Barry Silbert, le CEO de Digital Currency Group, prédit même que dans quelques années le Bitcoin sera reconnue comme une valeur étalon comme l’or et le secteur financier aura compris que sa blockchain résoudra nombre de ses problèmes et ralentira ses recherches pour créer ses propres registres.
D’autres pensent le contraire, le poids économique du Bitcoin étant marginal, les banques s’approprieront complètement la technologie pour développer leurs propres blockchains dans des circuits fermés. On est, en effet, très loin de l’esprit originel, développé par Satoshi Nakamoto.
Article en anglais partiellement traduit de l’article Banks Embrace Bitcoin’s Heart but Not its Soul by Tom Simonite.