Bitnation, premier état complètement virtuel

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Bitnation est une plateforme qui propose la création d’un Etat décentralisé. Cette idée a germé dans l’esprit de Susanne Tarkowski Tempelhof une jeune entrepreneuse dont la vie tumultueuse l’a poussé à se questionner sur l’utilité des Etats-Nations. C’est à partir des difficultés que son père a connues en tant qu’émigré polonais que sont nées ses ambitions « anarchistes ». En 2011, elle vit un moyen de concrétiser ses projets lorsque le champ des possibles de la blockchain fut relayé par l’essor du bitcoin. En effet, à la manière de la monnaie cryptographique, l’idéal étatique de BitNation se retrouve dans la dématérialisation et l’abrogation des contraintes institutionnelles.

Les objectifs de BitNation, une autre vision de la blockchain

A l’heure où la blockchain semble être l’outil fondamental du financier de demain la vision de Susanne Tarkowski Tempelhof est tout autre. Elle imagine un gouvernement décentralisé grâce à cette blockchain dont les deux notions de base seront la « Decentralized Organisation » (DO) et la « Do-It-Yourself Governance » (DIY). En d’autres termes la volonté de BitNation est de fournir tous les services d’un Etat « classique » en excluant la notion de frontière et de centralisation étatique. Il souhaite, par exemple, offrir une citoyenneté dématérialisée et toutes les institutions et rouages administratifs qui s’ensuivent tels-que le mariage, la naissance, etc. L’objectif étant d’éliminer les contraintes au sein de l’Etat et de rendre à l’individu son autonomie.
En effet, dans un cadre idéal, BitNation souhaiterait que les e-citoyens puissent adhérer à la constitution qui les avantage le plus et qui garantit le mieux leurs libertés fondamentales. Tarkowski Tempelhof a d’ailleurs écrit en 2014 un livre dont le titre ne peut nous tromper « The Googlement : A Do-It-Yourself Guide to Starting Your Own Nation ». Il est nécessaire de comprendre que sa vision repose sur une refonte totale de notre société, il y a derrière ce projet une notion de libre arbitre quasi absolu de la population ce qui modifierait totalement l’échiquier social. Au sein de ce système novateur l’action politique est régie par le degré d’implication de chacun au sein de la blockchain. De plus, au sein du projet de BitNation, le bien commun n’est plus administré par les acteurs clés de l’Etat mais par des plateformes d’organisations décentralisés, cryptés, interdépendantes, compétitives et collaboratives qui se veulent transparentes, autonomes et équitable. Cette équité étant portée par les algorithmes auxquelles BitNation croit et qui se doivent d’exercer des choix rationnels et justes.

Pour atteindre son but la proposition est globale, c’est-à-dire qu’elle recherche des solutions à toutes les fonctions actuellement exercées par l’état. Premièrement, la plateforme propose sa e-citoyenneté mondiale, avec un certificat d’identité, pour mettre en place une unité géographique totale, ensuite il y a une offre administrative équivalente à celle d’un état « classique » où la population peut obtenir des actes de naissance, des contrats de mariage, des cadastres et aussi une sécurité sociale. L’exemple des contrats de mariage est probant pour comprendre l’initiative de BitNation ; les règles étant différentes à travers le monde concernant les mariages entre individus du même sexe alors que la plateforme offre une liberté totale sur le sujet.       De plus, l’utilisation des algorithmes permet la proposition de services multiples comme des moyens de paiement, des solutions d’assurance et même un arbitrage juridique.
Il faut aussi comprendre que ce système se veut collaboratif ce qui permet d’imaginer des modèles éducatifs à l’échelle mondiale ainsi que des possibilités infinies au sein de l’entreprenariat avec une possibilité de mise en relation aisée et à moindre coût dans le monde entier, il en est de même pour la recherche d’investisseurs.

Les projets clés de BitNation

La « BitNation Refugee Emergency Response » (BRER) est fondamentale pour appréhender les nouveaux enjeux de la blockchain, alors que cette dernière était l’apanage du milieu monétaire. Nous pouvons maintenant observer une réorientation plus sociale mettant en avant l’étendu des possibles de cette technologie que certains qualifient déjà comme une révolution. La BRER est une action humanitaire qui propose aux refugiés qui arrivent en Europe (Crise européenne des migrants depuis septembre 2015) d’enregistrer leur identité sur blockchain pour faciliter leurs démarches administratives et leur identification par les autorités.
De plus, BitNation propose d’offrir aux réfugiés une carte de crédit Bitcoin (partenariat avec le leader du marche, E-coin), ce qui permet de fournir un service de paiement nécessaire aux migrants lors de leur arriver dans un pays d’Europe. Cette action est un exemple concret de ce que souhaite réaliser BitNation c’est-à-dire proposer des services qui abroge totalement les contraintes imposées par les états et leurs frontières.
Susanne Tarkowski Tempelhof, dans une interview accordée à « Usbek & Rica » en décembre 2015, expose l’exemple « [d’un] père de famille, qui a construit sa maison dans une favela et sera en mesure de transmettre son bien en enregistrant son titre de propriété dans un « contrat intelligent » ». Encore une fois, ceci expose la suppression de contraintes actuellement imposées par le système traditionnel qui pourraient être éliminées par la blockchain. Il y a une socialisation de la blockchain, celle-ci servant les notions d’égalité et de liberté individuelle.
Pour mener à bien ses ambitions BitNation a mis en place des partenariats pour exposer les premiers éléments de ce que pourrait être la société de demain. Tout d’abord, BitNation a établi une constitution (Decentralized Borderless Voluntary Nation, (DBVN), Constitution) en utilisant Ethereum qui est une plateforme d’application qui propose à n’importe qui de créer sa propre DAO (Democratic Autonomous Organization) par blockchain. Il est à noter que cette initiative est le plus gros projet de crowdfunding de l’histoire avec 168 $ millions, cela montre qu’il y a de lourdes attentes envers Ethereum.
Pour le moment la réalisation la plus concrète des services de la plateforme est un accord avec le gouvernement de l’Estonie. Ce dernier a confié à BitNation la gestion de sa e-résidence. Cela permet aux Estoniens de posséder une citoyenneté virtuelle qui leur permet d’avoir leurs contrats de mariage, certificats de naissance et même leurs contrats commerciaux sur blockchain. Nous pouvons voir en cela un premier pas dans la mise en place d’une citoyenneté entièrement virtuelle.

La vision à long terme de BitNation

Malgré tout, ces quelques services ne sont pas représentatifs de la totalité des fonctions d’un Etat, il est alors possible de se questionner quant à la viabilité du projet définitif de BitNation, c’est-à-dire la pharamineuse entreprise de création d’un Etat autonome.
Nous pouvons observer chez BitNation une volonté de marquer des étapes dans leur processus. Comme nous l‘avons vu, il s’est déjà attaqué au fer de lance de la blockchain en proposant en collaboration avec E-coin une carte de crédit Bitcoin. Il y a dans ce cadre la volonté de se placer comme un organisateur monétaire et d’offrir des services en dehors des institutions en place. De même, il se place dans le domaine éducatif à l’aide de son partenariat avec Exosphere. L’objectif est d’utiliser la réduction des frontières offerte par BitNation et les open sources pour élaborer des modèles éducatifs basés sur l’échange à l’échelle mondiale, ceci a un triple emploi il est possible de partager son savoir, s’enrichir du savoir d’un autre et même de collaborer en utilisant la blockchain. Les avantages de cette dernière étant alors la facilité d’échange, la sécurité et la réduction des coûts.
Une autre initiative de BitNation montre cela, la BitNation Space Agency (BSA) a pour but de révolutionner la recherche et l’exploration spatiale en faisant collaborer des volontaires (construction de mini fusée, de drones, etc.) en open source. Ceci montre bien la volonté de BitNation de montrer l’étendue des possibilités de la technologie et ceci même dans des domaines très techniques qui ont construit les superpuissances traditionnelles que nous connaissons.
Compte tenu des avancées de BitNation, il est sûrement déjà possible de parler d’une future disruption étatique mais il ne faut tout de même pas négliger les limites de la blockchain. L’ampleur du projet posera obligatoirement des interrogations sur les faiblesses de la technologie que sont la sécurité, l’efficacité de la plateforme (flux, débit, latence) et la responsabilité écologique. Il vaudrait mieux alors parler d’une cohabitation plutôt que d’une victoire exclusive d’un des modèles. L’association entre l’Estonie et BitNation est en ce sens probante car la e-citoyenneté se pose en complément d’une citoyenneté physique aux institutions matérielles bien établies.
Il est à noter que la révolution entreprise par BitNation semble être à l’origine de futurs débats sociétaux. Dans une interview accordée à « Usbek & Rica », la PDG de BitNation envisage la possibilité d’un revenu de base sur sa plateforme pour contrecarrer la destruction des emplois par l’automatisation. Cette idée qui divise en Europe est proposée par la plateforme car cela correspond à leur idéal d’égalité et de liberté (le travail devient un choix).
De plus le revenu universel semble offrir une rapidité d’exécution, pour la construction d’un Etat décentralisé, que n’offre pas la vision « classique » avec des aides sociales au cas par cas.
Il faut aussi comprendre que l’emploi serait en grande partie modifié par ce nouveau fonctionnement de l’Etat et les compétences informatiques deviendraient obligatoires. Dans ce cadre le revenu de base éviterait une crise due à l’automatisation et permettrait une période de mise à niveau des compétences au sein de la population. Par cet ultime exemple, Il est clair que la blockchain peut être à l’origine d’évolutions de grande ampleur, c’est un bond technologique mais possiblement aussi un bond social.