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Moins de terres et plus de bouches à nourrir, l’agriculture urbaine creuse son sillon. Entre production high-tech et culture séculaire, quelles solutions pour répondre au défi des années à venir ?

Deux modes de culture, deux visions de la ville

Pour nourrir la ville de demain, plusieurs modes de cultures tentent de s’enraciner à travers la planète. Face à une population mondiale en forte croissance et à des enjeux environnementaux considérables, les villes commencent à implanter l’agriculture au cœur de leur territoire. Unités de production high-tech et espaces de permaculture se partagent les rares terres disponibles, les premières misant sur le rendement, les seconds privilégiant la biodiversité. Au-delà de leur capacité à nourrir les habitants, elles questionnent le futur de nos cités, confrontant deux visions de la société : une approche unitaire qui répond à une problématique précise, à savoir alimenter la ville de manière durable, et une approche plus globale qui tente de réintroduire la nature au sein de quartiers bétonnés pour répondre à des enjeux plus larges, environnementaux mais également sociaux.

Des fermes verticales en ville, le summum du high-tech

Le concept des fermes verticales a émergé à la fin des années 90. Dickson Despommier, Professeur à l’Université Columbia de New York, a imaginé une ferme gratte-ciel pour répondre aux problèmes de faim dans le monde. Quelques vingt ans plus tard, les fermes urbaines font leur apparition en ville. Ces serres utilisent des technologies de pointe et sont pilotées par la donnée. Leurs processus de production sont optimisés et rien n’est laissé au hasard : type et quantité de lumière, irrigation, température, nutriments, tout est sous contrôle 24/7. Résultat, un rendement accru, sans recours aux pesticides, grâce à des modes de culture hors sol économes en eau comme :
– l’hydroponie : les plants poussent sur un substrat neutre (sable, argile…) irrigué en permanence,
– l’aéroponie : un circuit fermé vaporise de l’eau et des nutriments sur les plants,
– l’aquaponie : Les plants sont posés sur des bassins où sont élevés des poissons : les déjections de poissons nourrissent les plants, les plants purifient l’eau des poissons. Un cercle vertueux qui associe culture et élevage.
Grâce à ces techniques, on voit pousser d’immenses serres en pleine rue ou sur les toits, dans les villes où l’approvisionnement en produits frais s’avère difficile. Une solution que les grandes villes d’Amérique ont déjà mises en œuvre. Les premières serres commerciales sur les toits d’entrepôts ou de locaux ont vu le jour entre 2009 et 2010. On peut citer les Fermes Lufa au Canada, Gotham Greens ou BrightFarms aux États-Unis. Salades, tomates, concombres, herbes aromatiques poussent sur une surface au sol réduite, avec une productivité plus qu’intéressante : en moyenne 25 tonnes/an pour 1 000 m2 de serre. En France, la première serre urbaine commerciale sur un toit devrait voir le jour début 2017 dans le 12ème arrondissement. Lancée par la start-up Toit tout vert, cette serre de 1 500 m2 a pour ambition de proposer à quelques centaines d’habitants des fruits et légumes de qualité à un prix accessible, en distribution directe. Quant à la municipalité de Romainville en région parisienne, elle a initié un projet de tour maraîchère qui devrait voir le jour en 2018. Cette grande serre verticale de 3 800 m² culminera à 24 mètres. Plus de 1 000 m² seront consacrés à une production écologique qui poussera dans des bacs de culture sur un substrat organique développé par AgroParisTech. La production sera vendue sur place aux riverains pour un circuit on ne peut plus court.
L’agriculture serait donc un secteur d’avenir ? Un peu partout dans le monde, les recherches continuent, menées par des entrepreneurs indépendants ou des organismes publics qui tentent de développer des solutions innovantes pour répondre aux villes visant l’autosuffisance alimentaire. Certains géants de l’industrie informatique japonaise délaissent leurs cartes mères pour reproduire mère nature en faisant pousser des salades, comme Fujitsu et son Akisai Food and Agricultural Cloud ou Toshiba et son Toshiba Clean Room Farm. A Lyon, la Ferme Urbaine Lyonnaise (FUL) affiche une productivité qui laisse rêveur : son unité pourrait produire 11 tonnes de végétal par semaine sur seulement 2 200m² de culture. A Toulouse, CitizenFarm mise sur la facilité d’installation. La start-up propose une ferme urbaine de la taille d’une place de parking qui pourrait nourrir une famille de 4 personnes pendant un an grâce à l’aquaponie. A encore plus petite échelle, des sociétés nous proposent de faire pousser notre petit potager high-tech dans notre salon : l’Ozarium aquaponique de CitizenFarm (encore elle) ou le Food computer aéroponique de l’OpenAG Initiative, disponible en open source.
Productivité accrue, surface au sol réduite, toutes ces technologies promettent abondance de fruits et légumes. Alors qu’il y a quelques années ces fermes urbaines se contentaient de faire pousser salades et herbes aromatiques, les produits cultivés se diversifient et des efforts doivent encore être faits en matière de consommation d’énergie. Permettant la mise en place de circuits courts, ces technologies séduisent naturellement les mégalopoles ultra étendues et les quartiers qualifiés de désert alimentaire. Mais au final, qu’en est-il de la saveur de ces aliments qui n’ont jamais planté leurs racines en pleine terre ?

Toits végétalisés et potagers communautaires pour reverdir la ville

En parallèle, de nombreuses villes misent sur la terre plutôt que sur les cultures hors sol. Elles favorisent l’émergence de projets à même de nourrir les riverains tout en reverdissant leur quartier : toits végétalisés et potagers urbains se développent un peu partout dans les grandes villes, comme à Londres, Berlin, Barcelone, Los Angeles ou Detroit. A Paris, la mairie se fixe pour objectif de végétaliser 100 hectares de toits, murs et façades d’ici 2020, dont un tiers devra produire des fruits et légumes. En avril 2016, elle a lancé un appel à projet international, Les Parisculteurs, mettant à disposition 47 espaces urbains pour réaliser des projets de végétalisation et d’agriculture urbaine, sur les toits, en surface ou en sous-sol. En novembre, 33 lauréats ont été nommés. Potagers, vergers et champignonnières vont bientôt pousser dans la capitale, dans des lieux populaires ou prestigieux : Belleville, Charonne, place Vendôme ou l’Opéra Bastille. C’est la start-up Topager, à qui l’on devait déjà les potagers de la brasserie Frame de l’hôtel Pullman Tour Eiffel ou de la célèbre école de gastronomie Ferrandi, qui a décroché le toit de l’Opéra Bastille : 2 500 m2 de plantations sur 4 terrasses sont prévues, ainsi que 3 murs végétalisés de houblon pour alimenter une micro-brasserie. Mais cultiver sur les toits se révèle difficile. La structure des bâtiments ne peut supporter que 30 à 40 cm d’épaisseur de terre, le vent en hauteur doit être pris en compte et les cultures sélectionnées en conséquence. Si la végétalisation de Paris ne pourra répondre en totalité aux besoins alimentaires de la population, elle a des objectifs plus vastes : favoriser la biodiversité et la gestion des eaux de pluie tout en recréant du lien social dans les quartiers.
Car réintroduire la biodiversité dans la cité de demain représente également un enjeu majeur. L’INRA et AgroParisTech tentent d’améliorer les méthodes de permaculture pour augmenter naturellement la productivité de l’agriculture biologique au sein de la Ferme biologique du Bec Hellouin. A Albi, la mairie mise également sur la permaculture. Elle vise l’autosuffisance alimentaire d’ici 2020 pour près de 52 000 habitants. 12 jardins partagés au sein de la ville sont gérés par les services municipaux ou des associations. A terme, la ville en comptera 24. Albi encourage également le développement d’une ceinture maraîchère autour de la ville : elle confie 73 hectares de terrains en friche qu’elle a préemptés à de nouveaux maraîchers qui s’engagent à produire bio et à vendre leur production dans un rayon de 20 km.

Agtech ou permaculture, un juste équilibre à trouver

Avec l’agtech comme la permaculture les citadins pourront compter sur des fruits et légumes cueillis à maturité pour une empreinte carbone réduite grâce à des circuits de production et distribution ultra courts. Si l’agtech offre un rendement important sur une surface au sol réduite, elle nécessite des experts pour faire fonctionner ses serres urbaines. La permaculture quant à elle représente un mode de production plus accessible qui prend en compte tous les piliers du développement durable et cultive l’équilibre environnemental et social des villes. Ces deux formes d’agriculture urbaine devront donc trouver les moyens de cohabiter au cœur des cités. A l’image du premier quartier autosuffisant qui verra le jour en 2017 à Almère près d’Amsterdam ? ReGen Villages, une entreprise californienne, et Effekt, un cabinet d’architecture danois, ont conçu un modèle conciliant notamment production de nourriture bio et d’énergies renouvelables. Serres verticales, jardins saisonniers et fermes adjacentes permettront d’alimenter 25 foyers grâce à l’aéroponie, l’aquaponie et la permaculture. Un modèle à suivre pour, peut-être, le dupliquer dans les années à venir.